La population autochtone aïnoue de Hokkaidô s’élève aujourd’hui officiellement à environ 25 000 personnes, dans un archipel comptant un peu plus de 127 millions d’habitants. Elle tente, comme d’autres peuples premiers minoritaires confrontés à des défis similaires, de se réapproprier un passé voilé en raison de l’acculturation de l’ethnie, conformément aux souhaits d’un pouvoir étatique ayant cherché à accélérer son assimilation. En effet, si l’intrusion japonaise dans la société traditionnelle aïnoue provoqua une crise à de nombreux niveaux, l’impact de son système de valeur sur celui plus fragile des Aborigènes fit de surcroît voler en éclats une partie de leurs assises culturelles, les contraignant à une coexistence difficile imposée par la force.
C’est de cette situation conflictuelle qu’est ainsi née une première forme de métissage avec les Shamo (les Japonais non autochtones d’origine, en langue vernaculaire), alors que les Aïnous, déjà familiarisés avec certains éléments de la culture japonaise qu’ils s’étaient appropriés par le passé selon des logiques de prestige, tentèrent d’en adopter de nouveaux par compensation. Une loi de l’indigénat contraignante les empêcha cependant de véritablement s’assimiler et les bloqua aux marges de la nouvelle société hokkaïdoise.
Malgré sa profondeur, le processus colonial n’a pourtant pas totalement annihilé les strates les plus enfouies de l’organisation socioculturelle et religieuse traditionnelles. L’acculturation apparaîtrait plutôt fragmentaire, compte tenu de la relation passionnelle que les Aïnous n’ont cessé d’entretenir tant bien que mal avec leurs traditions et le désir de la jeune génération d’en inventer de nouvelles, à un moment déterminant de son histoire. L’expérience de terrain montre comment les Aïnous sélectionnent en permanence ce qui leur convient dans la sociodicée japonaise, et le vaste éventail d’options culturelles proposé par de nombreux autres peuples avec lesquels ils sont rapidement entrés en contact. La jeunesse aïnoue d’aujourd’hui, consciente de sa spécificité et forte d’une hybridation culturelle unique au sein du vaste océan de la japonité, a ainsi relevé le défi de la reconstruction identitaire en engageant un vaste processus de réappropriation historique basé notamment sur la mémoire rituelle.
Profil :
Lucien-Laurent Clercq est maître de conférences invité à l’université de Hokkaidô où il enseigne le français et poursuit des recherches en ethnologie à l’Institut des Médias et de la Communication. Ancien boursier du gouvernement japonais, il est docteur de l’EHESS en anthropologie sociale. Sa thèse a été récompensée par le prix Shibusawa-Claudel 2018.
Ses travaux, mêlant l’observation ethnographique à l’évocation littéraire, concernent notamment l’histoire socioculturelle des Aïnous et les dynamiques identitaires des peuples autochtones. Ils s’inscrivent dans une anthropologie de la violence en contexte postcolonial cherchant à questionner les différentes formes de gouvernementalités et leurs répercussions sur les sociétés traditionnelles contraintes de s’y adapter. Ses recherches ethnohistoriques les plus récentes portent sur les efforts de reconstruction de l’identité aïnoue et de son histoire, et sur l’influence de la culture noiraméricaine au Japon.
Les Aïnous aujourd’hui : reconstruction identitaire et socioculturelle de l’autochtonie (Conférence du lauréat du prix Shibusawa-Claudel, 35e édition)
Ven, 18-01-2019 18:30 - 20:30
Conférencier : Lucien-Laurent CLERCQ (univ. de Hokkaidô)
Lieu
Auditorium de la MFJ
Nombre de places
130
Langue
en français (avec traduction consécutive)
Organisation
Fondation Maison franco-japonaise, Institut français de recherche sur le Japon à la MFJ
Parrainage
Fondation Shibusawa Eiichi, the Yomiuri Shimbun
Inscription
obligatoire sur le site du l'Institut francais de recherche sur le Japon a la MFJ